Plusieurs enfants nés avec des malformations des membres supérieurs ont été recensés dans différents départements français. L’agence française de santé publique a traîné des pieds. Les environnementalistes dénoncent les pesticides. Le gouvernement relance l’enquête.
Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, et le nouveau ministre de la Transition écologique François de Rugy ont annoncé une relance de l’enquête. - © Vincent Loison - ISOPIX
Comment l’affaire a été découverte
C'est d'abord une enquête de "L'Œil du 20 heures" sur France 2, diffusée le 26 septembre, qui médiatise l'affaire. Une maman confie aux journalistes son désarroi lorsqu'elle a découvert, à la naissance de son petit garçon, qu'il était né sans main droite. Dans les environs de son village de Druillat, dans le département de l’Ain, sept bébés sont nés sans bras ou sans main entre 2009 et 2014. Un phénomène similaire a été constaté dans le Morbihan et en Loire-Atlantique, à chaque fois dans un périmètre restreint. Les médecins n’ont aucune explication.
L’anomalie ne serait pas génétique, pas liée non plus à des prises de médicaments, ou de drogue. Le point commun de ces familles, c’est qu’elles vivent toutes en zone rurale, à proximité de champs de maïs et de tournesol. Du coup, les écologistes dénoncent les pesticides. Emmanuelle Amar, une épidémiologiste qui a dénoncé l’affaire, vient d’être licenciée, pour raisons économiques. La mise à l’écart de la lanceuse d’alerte scandalise certains observateurs qui accusent les pouvoirs publics de vouloir "étouffer" ce nouveau scandale sanitaire. Le gouvernement français a annoncé ce dimanche le lancement d’une nouvelle enquête.
Lanceuse d’alerte au cœur de la tempête
Emmanuelle Amar travaille pour le Remera, le Registre des malformations en Rhone-Alpes, une structure qui recense les malformations dans la région. Dans cette zone géographique, c’est 58 fois plus que la normale, selon les résultats de son enquête. Elle interroge les parents sur leurs habitudes de vie. Le seul point commun de ces familles, c’est qu’elles vivent toutes en milieu rural, au milieu des champs.
Fin 2014, l’épidémiologiste transmet son rapport aux autorités de santé. Deux ans plus tard, l’agence Santé Publique France répond en contestant la méthodologie. De plus, le Remera se voit menacé : après 45 années d’existence, les subventions publiques lui ont été coupées. La scientifique et cinq autres salariés de Remera apprennent leur licenciement économique, faute de prolongement des subsides de l’Etat. L’agence Santé publique France dénonce une campagne calomnieuse, mais Emmanuelle Amar reçoit le soutien d’eurodéputés écologistes et de deux ex-ministres françaises de l’Ecologie.
D’autant qu'entretemps, des médecins de Bretagne et des Pays de la Loire ont alerté à leur tour les autorités. Sept enfants sont nés sans bras autour de deux villages, en quelques mois seulement.
Dimanche, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, et le nouveau ministre de la Transition écologique, François de Rugy, ont annoncé une relance de l’enquête, cette fois avec le concours de l’ANSES, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Ce qui veut dire que cette fois, des experts de l’environnement seront associés à la recherche des causes de ces malformations.
Le précédent des bébés "Softenon"
Les causes de ce genre de malformations peuvent être génétiques, liées à des contraintes physiques ou dues à des substances toxiques. On se souvient qu’en Belgique, des milliers de bébés sont nés sans bras au début des années soixante, parce que leurs mamans avaient pris un médicament anti-nauséeux, le thalidomide, commercialisé chez nous sous le nom de "Softenon". Ce médicament a été mis en vente sur le marché belge en 1959, et retiré seulement en 1963. En France par contre, le médicament avait été interdit.
Dans d’autres pays, ce principe de précaution n’a pas été appliqué, et des milliers de victimes ont été enregistrées aux Etats-Unis, au Canada, en Suède, en Italie ou en Grande-Bretagne. L’Allemagne détient le triste record, avec 2800 victimes. Au total, le Thalinomide a été administré dans 76 pays.
En Belgique, une quarantaine de "bébés Softenon" ont vu le jour. 18 survivants se sont constitués en association, et en 2010, ces victimes ont porté plainte contre l’Etat belge pour négligence. L’Etat a été condamné à financer une fondation d’aide aux victimes, mais cette fondation n’a jamais vu le jour.
En Grande-Bretagne, 20 millions de livres sterling ont été débloquées pour dédommager les victimes, qui bénéficient d’un accompagnement spécifique.